dimanche 27 mai 2007

The Air Is On Fire


Expo Lynch hier, à la fondation Cartier. Des dizaines de dessins d'un Miro devenu fou, des dessins sur des post-it, des boîtes d'allumettes, des serviettes en papier. Avec dessus, toujours les mêmes formes géométriques imbriquées les unes dans les autres, des visages difformes, crânes protubérants et traits surgis de nulle part. On se promène de l'un à l'autre, un peu plus stupéfié à chaque pas. On se promène dans un vague décor d'usine désaffectée, avec coins morts, structures métalliques apparentes et partout le même gris anthracite. On pourrait se croire dans Inland Empire, quelque part sur le plateau de cinéma d'une bâtisse anonyme de Los Angeles où commence le tournage de On High Blue Tomorrows. C'est probablement le but du commissaire de l'exposition, vous me direz. N'empêche. C'est sacrément efficace.


Il y a des tableaux aussi, des tableaux avec toujours la même violence contenue, des coups de poing qui avancent masqués, des crimes en devenir. On y voit des personnages à taille humaine, visages à peine esquissés à gros coups de peinture à huile, de glaise et de chewing-gum (!), qui s'observent. Sur l'un, un homme, couteau à la main, demande à une jeune femme affalée sur un canapé, jupe et culotte baissées, sexe et seins apparents, "Do you want to know what I really think?". Au-dessus d'un ovale cireux -la tête de la jeune femme, donc-, une bulle, et deux lettres en capitale: "NO". Des corps nus, difformes, reprises de photos érotiques du XIXème, et retouchées, le temps d'ajouter un pénis sur un sexe féminin, de flouter les visages, de tordre les corps. Des corps mourants aussi, comme sur une autre de ces fresques, avec cet homme en costume, bien campé sur ses deux jambes droites et verticales, les bras écartés, un Christ des temps modernes. Un flot de sang jaillit de son coeur, avec un long boyau jaunâtre. C'est écrit "Spirit" dessus. En haut, la légende: "This man was shot 0.9502 seconds ago". Il y a du Bacon chez Lynch, avec ces mêmes couleurs ocres et rouge sombre, ces mêmes formes inquiétantes, visages tordus et grimaçants.



De l'humour enfin. Comme sur ces courts-métrages grotesques où un homme hirsute -un petit rond pour le visage, quelques traits pour la barbe de trois jours et les cheveux, un gros rond pour le ventre, des bâtons pour les jambes et les bras- expulse un marteau coincé entre ses fesses en faisant de gigantesques prouts. Du dessin animé d'adolescent goguenard. Comme sur ce portrait de Lynch au sous-sol, où sous les rides façon vieil artiste tourmenté, il y a cette lueur malicieuse qui déborde au coin de l'oeil. Sacré Lynch.

[Death in Vegas - Dirge.]

13 commentaires:

Anonyme a dit…

La comparaison avec Bacon est intéressante, mais je trouve Lynch beaucoup plus malsain. Et pourtant Bacon est assez doué dans cet exercice...
Mais alors que Bacon exploite les tourments de l'âme, il me semble que Lynch la nie complètement. Il a le don de travailler nos angoisses (les miennes en tout cas) et d'enlever toute beauté, tout magie en tout cas, aux évènements. Pour y substituer un malaise tangible.

Jugement subjectif évidemment.

Bé. a dit…

Oui, tu as raison là-dessus, je ne vois rien de 'malsain' chez Bacon. Des visages tourmentés, tortueux, des corps démantelés... Mais on reste dans un univers pictural relativement balisé, sous la tutelle de Picasso et d'autres. Ses tableaux me fascinent, me dérangent un peu, mais ne me choquent pas. Lynch, si: le malaise à l'état pur. Je ne sais pas à quoi tient la différence.

Pas d'accord par contre pour le coup de la négation de l'âme chez Lynch. Elle est bien présente, à mes yeux, comme dans ses films d'ailleurs. Ce n'est parce qu'on gomme les visages qu'on fait de ses personnages de purs pantins.

Juste pour la petite histoire: Bacon avait été renvoyé de sa famille par son père, à 17 ans, pour avoir enfreint les codes moraux: il avait essayé les sous-vêtements de sa mère...

Anonyme a dit…

Ce n'est pas ce que je voulais dire. Je pensais par exemple au tableau, que tu commentes dans ton article (This man was shot...seconds ago): si l'âme n'est pas forcément niée, elle est franchement dégradée et désacralisée. Enfin je trouve.
Et en général dans ses films, les nombreux personnages guidés uniquement par leurs pulsions, et dont l'âme et la moindre vertu morale paraissent s'effacer. Je pense particulièrement à des personnages de Twin Peaks mais il me semble que tu vas le voir ce soir, donc je n'en dis pas plus ;-)!

A noter aussi, une fascination pour l'acte sexuel (l'amour lesbien particulièrement et son ambiguité latente, mais aussi la domination existentielle du sexe pour certains de ses personnages. J'aurais pu dire la domination de l'amour, mais l'amour est toujours et systématiquement ramené au sexe.), mais aussi pour la violence irrationnelle.

Et toujours un dérèglement visuel, une ambiance sonore et un grain de l'image, ainsi que des personnages troublant, de manière plus ou moins insidieuse, qui contribuent à un malaise relativement permanent (quoique celui-ci prenne des formes diverses selon ses films. C'est plus homogène pour ses oeuvres par contre, à mon avis.

En définitive, je trouve l'oeuvre (au sens de sa globalité) excessivement pessimiste, particulièrement concernant la nature de l'Homme et sa difficile quête d'unité. Cependant, ce pessimisme est cynique, donc flirte souvent dans la recherche de l'absurde voire du rire, meilleure forme d'acceptation d'une situation inacceptable.

Bé. a dit…

Avec l'éclairage de Twin Peaks (...mais ça alors, comment donc sais-tu que je suis allée le voir hier...?!), je ne peux qu'approuver complètement ce que tu dis... Amour lesbien, âme dégradée, schizophrénie, primat des pulsions sur l'intellect ou la morale... Des thèmes constants indeed.

L'absurde: les lapins dans Inland Empire. Toujours pas compris le pourquoi du comment.

Pour le pessimisme, j'avoue que je n'étais pas d'accord avec Jean, hier soir, en sortant du Champo... Que penses-tu de la fin de Twin Peaks? La mort de Laura, qui du coup, face à l'ange qui l'accueille, devient enfin la jeune fille radieuse qu'elle n'avait jamais été sur terre...? Je n'ai pas trop compris, à vrai dire. Pas trop dans le ton du film, en fait. Jean trouvait que ça ajoutait encore une flopée de pessimisme dans l'histoire, et moi je voyais tout le contraire, genre Lynch qui nous dit "faut croire en une vie meilleure dans l'au-delà, si t'es pas heureux de ton vivant tu le seras après", et tout ce vieux blabla religieux qui ne colle pas du tout au personnage. D'où mon incompréhension. Tu peux éclairer ma lanterne, peut-être...?

Anonyme a dit…

Jai du mal à croire à une vision Lynchéenne de l'au-delà...
Je ne sais comment interpréter précisément la fin. De toute façon, qui parvient à interpréter quoi que ce soit de manière assurée chez Lynch? Tout ce que je sais, c'est qu'il y a des correspondances, des liens entre ses films et ses oeuvres picturales. Dans Twin Peaks, ce que tu vois comme un au-delà constitue, formellement, ce qu'il y a derrière le rideau. Le thème du théâtre de l'existence ("Tout n'est qu'illusion", phrase rabaché jusqu'à l'absurde dans la scène du théâtre de Mullholand Drive) symbolisé par un rideau, voire parfois des personnages en coulisse, souligne plutôt, pour moi, l'absence de contrôle de notre propre vie, pas un après ou un avant.

Assez souvent, Lynch joue sur les différences de perspective: je pense à la télévision dans Inland Empire, dans laquelle on voit tous les évènements, même ceux qui sont sensés être réels; je pense aux lapins, que Laura Dern voit à travers un bout de tissu (en faisaint un trou avec une cigarette); je pense au tableau offert à l'héroine de Twin Peaks, dans laquelle elle s'observe (lorsqu'elle franchit la porte de sa propre chambre); je pense au jeu avec la caméra dans Inland Empire. J'en oublie beaucoup, mais il y a à l'évidence beaucoup d'exemples de ces bouleversements de perspectives. A mon avis, cela illustre la difficulté, pour le cinéaste comme pour l'Homme en général, à saisir une réalité qui lui échappe.

Pour les lapins, il s'agit encore une fois de troubler le réel, de mélanger les éléments plausibles et absurdes, au point qu'on ne sache plus où l'on est. De quel point de vue se place-t-on? Est-on dans le réel ou dans une scène du film? On est certainement das la mise en abyme, mais la confusion de cette dernière la rend particulièrement insaisissable.
A noter que les scènes avec les lapins sont tirés d'une série (que j'ai sur mon pc, mais pas encore regardée), Rabbits, réalisée par Lynch avant Inland Empire. Donc il me parait assez inutile de chercher un lien avec la trame de Inland Empire, il s'agit plutôt d'une manière supplémentaire de troubler le spectateur, qui s'ajoute à la profusion visuelle et sonore du film (Inland) en général. Mais on peut toutefois postuler que les lapins, dont les discours sont absurdes, qui jouent aussi sur une scène (rires de l'audience), montre encore une fois que l'Homme joue un rôle qu'il ne comprend pas lui-même, sans s'en rendre compte. C'est d'ailleurs à mon avis le thème principal de Inland Empire, mais on le retrouve aussi de manière plus parcellaire dans d'autres de ses films.

Bé. a dit…

Itou pour moi côté au-delà lynchéen: on est d'accord, c'est pas crédible. Je renonce à chercher à comprendre la fin, alors. Peut-être est-ce juste une occasion pour Lynch de tourner en dérision toute la mystique pseudo-christique qu'une pauvre petite fille riche peut développer, dans sa dimension la plus dérisoire: musique pompeuse, ascension de l'ange dans tout ce qu'il y a de plus caricatural, avec auréole dorée, ailes blanches et sourire figé, etc. Les dernières images du film ressemblent aux icônes qu'on donne aux enfants, pleines d'une joie naïve et bien mièvre.

Ce que tu dis sur le jeu des perspectives m'a frappée, dans tous les films de Lynch que j'ai pu voir. Un truc qui revient constamment, aussi: des plans fixes, où la caméra ne bouge plus, et se contente de fixer les allées et venues de personnages dans une pièce ou un couloir ...ce qui produit inévitablement cette sensation d'être au théâtre, devant une scène fixe où des acteurs évoluent, plutôt qu'au cinéma, où l'on a plus naturellement tendance à suivre les mouvements d'un acteur avec la caméra (cf le travelling dont Kubrick use et abuse -si Lynch avait fait Shining, la scène du petit garçon roulant dans sa voiture à pédales dans les couloirs de l'hôtel jusqu'à tomber face aux jumelles dans l'ascenseur et les vagues de sang qui en surgissent n'aurait sûrement pas été tournée de la même façon: que du travelling avant chez Kubrick, tandis que Lynch aurait sans doute privilégié un plan fixe, avec le petit garçon qui se serait peu à peu éloigné de la caméra...) (beaucoup trop longue et filandreuse cette parenthèse). Je n'irai pas plus loin, je n'y connais franchement rien en réalisation.

Je ne savais pas que les lapins étaient une oeuvre à part. Tu l'a trouvée où, cette série? Ca m'intéresse vachement.

Bon, je veux voir Blue Velvet maintenant.

Anonyme a dit…

J'lai trouvé sur Emule...^^
Mais elle doit être en version payante sur le site de Lynch. J'ai été très déçu de son site d'ailleurs. Vraiment dans l'ambiance du mec, mais tout le contenu payant. Bof bof quoi.

Bé. a dit…

Ah, merde, j'ai pas Emule, mon PC le supporterait pas (il se met à me faire du boudin dès que je démarre un truc un peu lourd, ce qui est un peu lourd, justement).

Et la version payante sur le site... Ouais, bof, quoi.

Moi c'est le site de la Fondation Cartier qui m'a un peu déçue. Pour télécharger les images des oeuvres de l'expo, il fallait aller sur l'espace presse, et entrer un mot de passe... Moyen, quoi.

Donc tant pis pour Rabbits. A moins qu'ils ne le passent un jour au Champo...? Ouais, enfin, un court-métrage façon dessin animé, c'est pas trop dans la ligne du cinéma, en fait. Pffff.

Anonyme a dit…

C'est pas dessin animé...
Mais si tu veux je pourrai te le passer si on se croise. Et que j'ai mon Pc sur moi

Bé. a dit…

Ouais, retire pour le dessin animé, mais c'est pas un film non plus, et je ne sais pas comment appeler ça, alors si t'as un nom pour les séries bizarres avec des lapins dedans, tu me dis.

Bon, sinon c'est très très gentil de me proposer ton "Rabbits" en partage. Je te revaudrai ça. Les places en éco, Rabbits... Ca commence à faire beaucoup, et je me demande bien ce que je peux faire pour te remercier, mais en tout cas c'est très gentil.

Grace est avec moi, pendue au téléphone as usual. Mais si elle n'était pas pendue au téléphone, elle te dirait bonjour.

Anonyme a dit…

Un seul nom : Rebeyrolle.

Bé. a dit…

I beg your pardon...?

Anonyme a dit…

C'est un peintre que tu aimerais peut-être.