vendredi 15 juin 2007

Lost in the Supermarket

Dernier jour de cours hier à Sciences Po. Je m'en réjouirais presque s'il n'y avait pas les partiels qui commençaient demain. Je me gave d'annales de DSK pour colmater la brêche. "Faut-il renoncer au libre-échange?", c'est ce qui est tombé l'an dernier. "Beau sujet", dirait papa. Il n'y a de beaux sujets que pour ceux qui n'ont pas à les passer. Papa. Depuis combien de temps ne lui ai-je pas parlé?

Les grands départs approchent. Celui de mon ange au Chili. Deux mois. On ne se verra pas à son retour. Il nous reste deux semaines ensemble. Deux malheureuses semaines, avant un an et quelques de séparation. Et on me demande comment je vais.

Mon départ pour Budapest, à la rentrée. Je suis partagée entre un désir ardent de quitter Saint-Germain-des-Prés pour un an, Sciences Po, les fiches techniques et les exposés en dix minutes, deux parties deux sous-parties ...et le regret d'avoir bondi sur un stage trop tôt, dans l'exaltation d'avoir été prise quelque part. Un stage bien, certes, dans un domaine que j'aime, beaucoup. Mais les meilleurs arrivent maintenant, et je les vois me passer sous le nez, un à un. Une opportunité à Los Angeles notamment, avec un joli rôle de promotion du cinéma français dans le paysage audiovisuel américain, en relation avec distributeurs, studios et compagnie. Le rêve. Et moi qui pars m'enfermer dans ce qui se fait de plus franco-français en matière d'administration. Je reviendrai avec quelques mots de hongrois, et je verrai mes amis revenir de UCLA, Berkeley ou Columbia avec la mention bilingue sur leur CV. Le sacro-saint "Anglais niveau 5" à Sciences Po.

J'aurais aimé partir loin, à l'autre bout du monde, histoire d'empêcher toute possibilité de retour en France pendant un an, de larguer les amarres pour de vrai, de me plonger dans autre chose, quelque chose de fondamentalement inconnu. Pékin. Tokyo. Bombay. Buenos Aires. Pour maximiser mes chances, il aurait fallu choisir de partir en université. Je ne voulais pas. Je ne suis pas faite pour les études. C'est un peu indécent de dire ça, quand on sort de Louis le Grand, qu'on est à Sciences Po, et qu'on regarde l'ENA, ou Normale, ou HEC, non plus comme des hautes sphères inaccessibles, parfaitement opaques à nous-mêmes, mais comme des possibilités. Des trucs envisageables, sûrement pas à portée de main, mais envisageables.

Drôle de bulle. Bien sûr que je sors, que je change d'air, que je rencontre des gens nouveaux. Ils sont à Henri-IV, Normale, HEC, Oxford, Cambridge ou Columbia. Je disais changer d'air...?

Quand je rentre à Lille et que je prends le tram avec ma valise à roulettes, le choc est toujours aussi brutal, inouï. Il existe des gens, nés en France de parents français, qui ne savent pas parler français. Des gens qui ont pour seul horizon culturel les news Orange qui tombent sur leur portable. Des gens qui m'adressent la parole et que, parfois, je n'arrive même pas à comprendre. Le genre de moments où je me sens atrocement mal, parce que je prends conscience que je ne les connais pas, que ma bulle n'a jamais été en contact avec la leur, et qu'elle ne le sera probablement jamais. J'aurai vécu toute une vie dans une sphère de coton, entourée d'hommes fins et distingués qui parleront de la première de la Traviata à Garnier ou de la médiocrité du dernier Beigbeder. Et je m'en satisferai.

Parfois, lors des courses à Auchan, je croiserai des ados moulés dans des t-shirts à virgule, je leur jetterai des coups d'oeil curieux, pas inquiets mais curieux, pendant l'attente aux caisses. Je me dirai, c'est formidable, ce brassage des cultures, ces barrières sociales qui tombent sous les roues du caddie universel, et je réglerai mes tofus au soja le sourire aux lèvres. Et l'on se sera croisés et ignorés, réunis provisoirement dans un même culte -le temple des désirs et des besoins. Après la prière commune, chacun retournera dans son petit monde, soigneusement cloîtré et protégé derrière des frontières tacites. Jusqu’à la prochaine excursion au supermarché.

[The Clash - London Calling.]

15 commentaires:

Unknown a dit…

Joli post.
J'aime beaucoup la fin.

Anonyme a dit…

Ta descritpion du supermarché c'est un peu LA de nos jours... Quoi que, je ne suis même pas certaine qu'ils partagent encore les mêmes sources d'approvisionnement en futilités...

Noam a dit…

Bérénice
about to take a walk on the WILD side !

ne crois pas la hongrie de tt repos !!!

Anonyme a dit…

Typique...

Eugène a dit…

J'ai toujours eu pour habitude de ne jamais desesperer en l'etre humain.penses-y .(ce qui explique mon militantisme politique )poeme:
la percois tu la rumeur de l'est
celle de l'espoir qui nous reste
regardes la fille de l'est
l'envie de budapest
ni le froid ni la glace
pas meme le temps qui passe
n'auront raison de sa raison .

Anonyme a dit…

Je viens de lire Eugène et bah mon coco quel poète, j'en glousse!

Bé. a dit…

Oui, j'ai peut-être été un peu sévère sur la Hongrie, là. Parce que je ne le dis pas assez, mais je brûle d'impatience d'y aller, rappelons-le...

Pour Aristide: "typique" ==> ?

Tu veux dire que cet article est typique de moi, de ce que j'écris, de ce que j'ai toujours écrit? Oui, bon. C'est vrai que je ne me foule pas trop.

Oh, et puis si vous allez l'impression de lire toujours la même chose (ce que je comprendrais: moi-même j'ai parfois l'impression d'écrire toujours la même chose), fichez le camp hein, j'vous en tiendrai pas rigueur.

Anonyme a dit…

Je te laisse interpréter à vrai dire, mais ce n'est pas trop ce que je signifiait.

Anonyme a dit…

Pardon pour la faute d'orthographe, je suis très fatigué.

Bé. a dit…

Tu sais, on ne fonctionne pas tellement de la même façon toi & moi, donc j'aurais beaucoup de mal à rentrer dans ta tête pour comprendre ce que tu entendais par "typique" si tu ne m'éclaires pas un chouia. Allez, quoi, un peu de bonne volonté.

Bon, et sinon, Godspeed passe en boucle, et j'accroche de plus en plus. T'as d'autres albums en réserve?

Bé. a dit…

"J'aurai", pas "j'aurais". Moi aussi, suis fatiguée. Allez, au pieu.

antagonisme a dit…

La Hongrie, c'est plus beau que LA, même si c'est moins fun. C'est peut-être aussi un avenir possible. Sur Lille, tu as plus que raison, et je connais bien la région, et le sentiment de solitude et de désespérance qu'elle me donne à chaque fois. Et je n'y vais qu'une fois par an pour deux jours...

Anonyme a dit…

J'ai beaucoup d'autres albums en réserve effectivement, pas seulement Godspeed.

Bé. a dit…

Antagonisme ==> Moi, Lille, j'y passe tous mes étés. Lille, l'été... C'est encore pire, je pense. Une belle ville, pourtant.

Aristide ==> Ah, chic! Trop lourds pour être envoyés par mail (gmail, pas scpo, hein), ou...?

Anonyme a dit…

"J'aurai vécu toute une vie dans une sphère de coton, entourée d'hommes fins et distingués qui parleront de la première de la Traviata à Garnier ou de la médiocrité du dernier Beigbeder. Et je m'en satisferai."

"Drôle de bulle. Bien sûr que je sors, que je change d'air, que je rencontre des gens nouveaux. Ils sont à Henri-IV, Normale, HEC, Oxford, Cambridge ou Columbia. Je disais changer d'air...?"

Hum; et les chevilles, Berenice, ca va ?