lundi 2 juillet 2007

Pourquoi faut-il que les hommes s'ennuient

Je suis allée voir la Gay Pride samedi. Mes parents étaient à Paris pour deux jours, ils ont dit, oh aujourd'hui c'est la Gay Pride, il y a aura des spécimens, allons voir les spécimens, donc on est allés ensemble sur le boulevard Saint-Michel et on a regardé les spécimens. Mes parents étaient tout sourire devant les chars, papa a couru après celui de l'UMP pour avoir un préservatif étiqueté GayLib, maman a ri, les gens faisaient des oooh, et des aaah, en remuant un peu du derrière quand il le fallait.

Moi je me sentais mal à l'aise. C'est con hein, mais je me sentais mal à l'aise. La vague impression d'être une spectatrice illégitime devant quelque chose d'assez absurde. J'ai essayé de me dire, allez, c'est la marche des fiertés quoi, fais pas ton hétéro coincée, remue-toi un peu, fais-le pour tes amis homos & bi au moins. Après je me suis dit que même mes amis homos & bi ne pouvaient pas se reconnaître dans ces corps tout de muscles et de huile de massage revêtus. Je me sentais mal, parce que j'étais venue voir une manifestation pour l'égalité des droits pour tous, et que je me retrouvais devant des hommes en string qui dansaient sur des camions en nous lançant des capotes comme d'autres lanceraient des cacahuètes. Ca m'a fait penser aux freaks dans Elephant Man, sauf que là, on se retrouvait entre adultes libres et consentants. Avec le Tout Paris en guise de l'ancienne bonne société victorienne. Bref: j'étais gênée.

Gênée comme quand je vois ces orgies qui se font entre Sciences-Poteux. Ca se retrouve dans la maison de campagne de l'un ou de l'autre, en groupe, et ça reste là pendant deux-trois jours. Ca se prend en photo. Parfois des centaines de photos. Des photos du manoir, de la piscine, de la forêt, de filles en bikini. On fait le tour de la propriété. Et puis ça boit. Ca boit tout nu dans la piscine, et ça jette les bouteilles dans le bassin. Ca prend en photo les sexes qui pendouillent, c'est bête un sexe au fond, une sorte d'excroissance corporelle, pas très jolie finalement, on a presque envie de retirer tout ça, pour faire place nette. Mais ce ne sont pas tant les corps nus qui me choquent; ce qui me choque, ce sont les 360 oeufs que l'on a achetés, pour la bataille dans la forêt. Plus la farine, et les litres de rosé. Ca se prend en photo en train de se canarder d'oeufs et de s'asperger de rosé, avant d'aller se rincer dans la piscine.

Bientôt ça sera Monsieur le Député ou Madame la Sénatrice.

Ce sont des réflexes de grands-mères qui ont vécu la guerre sans doute, mais je n'ai jamais supporté de voir de la nourriture finir ailleurs que dans un ventre. On m'a appris à finir mon assiette, à ne pas jeter des yaourts périmés, à "accommoder" les restes. Un condensé des valeurs de toute la petite bourgeoisie du Nord des années 50, crise du textile oblige. Y a pas d'petits profits.

Dans son Abécédaire, Deleuze parle, à la lettre R comme Résistance, d'un des principaux motifs de l'art et de la pensée, à savoir "une certaine honte d'être un homme". L'éprouver, c'est se poser deux questions: 1) comment est-ce que des hommes ont pu faire ça?; 2) comment est-ce que moi, j'ai pu pactiser avec ça -en regardant ces photos par exemple...?

"Pour chacun de nous, dans notre vie quotidienne, il y a des événements minuscules qui nous inspirent la honte d'être un homme. On assiste à une scène où quelqu'un vraiment est un peu trop vulgaire. On ne va pas faire une scène -on est gêné. On est gêné pour lui. On est gêné pour soi, puisqu'on a l'air de le supporter, presque. Là aussi, on passe une espèce de compromis. Et si on protestait en disant, mais, c'est ignoble, ce que tu dis? On en ferait un drame, on est piégé. Ca ne se compare pas avec Auschwitz, mais même à ce niveau minuscule, il y a une petite honte d'être un homme. Si on n'éprouve pas cette honte, il n'y a pas de raison de faire de l'art."

Une petite honte d'être un homme.

[The Coasters - Down in Mexico.]

10 commentaires:

Anonyme a dit…

I see what you mean.

Comme lorsque A. a lâché "Oh mais 'faut arrêter de diaboliser le nazisme enfin" et que donc, je lui aurais bien vomis dans la bouche. Je n'en ai rien fait. Mes rejets se méritent.

Ou lorsque j'ai fait ces choses auxquelles je repense aujourd'hui avec un sentiment bizarre. Un mélange de sérénité, de satisfaction et de fous rires avalés qui ne font que solidifier un dégoût de moi-même pourtant présent dans le cocktail.

Ou lorsque je cautionne des actes contre lesquels je suis parce que 'j'aime'.

Ou lorsque je me lève le matin insouciante ; puis me mets à remettre tout le genre humain en question parce que j'ai croisé Milana Terloeva chez mes voisines tchétchènes, et qu'elle n'est autre que l'auteur de "Danser sur les ruines", un livre sur les guerres de Tchétchénie qui m'a profondément bouleversée.

Ou lorsque tu me dis que j'ai fait quelque chose qui t'as fait mal avec le sourire, mais que je sais que ton sourire est strictement facial, quand les plus beaux se font en esprit.

En fait, gêné d'être un homme, gêné d'être humain, c'est normal et inévitable. Car si l'erreur est humaine, c'est parce que l'erreur est l'apanage de l'homme. Elle n'est pas son essence mais la complexité qui fait de lui cet amas de conneries en est conséquemment pourvue.

"Chut, quelle est cette lumière qui brille à la fenêtre ?"... Shakespeare, quand tu nous tiens...

xoxoxo, tu vas me manquer quand tu seras là-bas...
en attendant, il est temps qu'on mange des sushis et qu'on se raconte nos vies...
I love u my B !!!

Anonyme a dit…

PS : c'est tjs un plaisir de voir que tu as émis un nouveau post, et tjs une joie de te lire, toi qui écris si mal... :)

Noam a dit…

chère B.

sur la marche des fiertés, ma foi, je n'ai rien contre les chars d'homme en strings voltigeant, j'ai fait l'expérience maximale le soir ou Julie m'avait emmené dans une boite soi-disante mixte : nous étions tous deux très très désappointé,
et elle qui cherchait une fille !

Mais ce n'est pas une marche à contempler, il faut rentrer dans la danse : je me rappelle l'avoir fait, depuis vers denfert (à la place du lyon ?) avec la grande pancarte qu'on avait fabriqué : contre l'homophobie, et les phobiques en tous genres :p

on avait chanté, on avait dansé, et ma foi, un préservatif ça peut toujours servir, ca fait de beaux souvenirs : soutenir, vibrer, ca dépend peut-être de ta partie du cortège, mais je me rappelle de beaucoup de dignité aussi, et ça n'est pas inutile, même en 2007, même à Paris
je dirais, "tu serais surpris", mais je suis sûr que tu as été témoin de ces petites haines humaines
qui t'amènent à Deleuze...

Abécédaire : je n'ai jamais dépassé la lettre B.
tu me bats à plate couture, mais je me referai.

Je suis encore sous le choc de Arrivederci Amore Ciao de Michele Soavi...

les films de minuit ont un pouvoir...


(spécial dédicace à mon trench-coat qui est marqué d'un beau rectangle blanchi dans le dos, là ou qqun a eu la bonne idée de me coller un autocollant pendant la Gay Pride de 2004 :
ce trench qui m'a valu cette phrase mémorable de la part de la grand mère de Clémentine "chéri, j'adore le cuir" ...)

woohoo...


bonne nuit petite toi
et à bientôt sur Paname
Nono.

Noam a dit…

oh oh...

jusqu'à la lettre B.

bien sûr, comme...
Bérénice :p

viens on fera un abécédaire !

Noam a dit…

j'ajoute que
"Pourquoi faut-il que les hommes s'ennuient"
est la première chanson de Brel que j'aie jamais entendu...c'était en TL, au reflet médicis, pour
UN ROI SANS DIVERTISSEMENT
(le film adapté de Giono)
une longue séquence sur ce personnage qui marchait dans la neige
et cette voix : sublime !

Anonyme a dit…

La gay pride c'est un peu comme la braderie ou la fête de la musique. Une grande orgie. A la place de l'alcool, le ridicule. Personnellement ça ne me dérange pas. il y a bien la technoparade alors la marche des fiertés ... mais la question se pose (notemment dans la communeauté gay sur internet) de savoir si la marche à encore des choses à revendiquer par rapports à leurs droits ... Je suis pas mal à l'aise devant ça mais plutot devant une bande de science posard sois disant propres sur eux qui claquent les thunes de papa maman a deauville dans des open-champagne.

Anonyme a dit…

Tiens, concernant la gay pride, regarde le numero 10 de ce classement :

http://www.pederama.net/spip.php?article511

Internet nous procure parfois des réponses inédites à nos questions ...

Bé. a dit…

Pour l'Abécédaire, je dois avouer une chose: je ne les regarde pas dans l'ordre. Autrement dit, je ne suis jamais arrivée "jusqu'à" la lettre R comme résistance. Je suis tombée sur la lettre R comme résistance, au hasard des pages internet. Comme je suis tombée sur d'autres lettres par la suite. Mais jamais dans l'ordre, en tout cas.

D'aillleurs, pour ceux qui ont le tout et l'envie de fouiller l'Abécédaire: http://www.agitkom.net/index.php?2007/05/17/81-abecedaire-de-gilles-deleuze-r-comme-resistance
Il y a le fameux "R comme résistance", mais d'autres aussi, juste en-dessous de la vidéo.

Je suis allée voir pederama.net -et je dois dire que je ne comprends rien à la visée de ce truc. Qui écrit? Dans quel but? C'est de la dérision? De l'humour pour l'humour? Moi pas comprendre.

"Pourquoi faut-il que les hommes s'ennuient": une chanson que j'ai écoutée en boucle après avoir vu Un roi sans divertissement, en terminale. Et aujourd'hui encore, je ne m'en lasse pas. Ah, Brel!

Anonyme a dit…

Par rapport aux deux questions qu'on se pose en éprouvant cette honte d'être Homme: 1)Parce que vivre autrement que dans l'absurde l'est tout autant, absurde.
2)Par lâcheté sûrement, mais il s'agit là d'une lâcheté universelle, qui découle, à mon humble avis, de la tension entre recherche de l'individualité pure et nécessité du collectif.

Anonyme a dit…

This is great info to know.