dimanche 8 juillet 2007

Phatique toi-même.

Jeudi soir, j'étais à Lille, rue de Paris, et là, vlan, une furieuse envie de steak tartare m'a prise aux tripes. Heureusement j'étais avec mes parents, et près d'un Hippopotamus, donc en un rien de temps on s'est retrouvés tout soulagés à une table près de la fenêtre avec vue sur la Pharmacie de France, des odeurs de viande rouge et un menu dans les mains. C'est bien, l'Hippopotamus, le seul endroit à Lille où tu peux demander un tartare de charolais aller-retour sans que l'on te jette un regard perplexe, presque méfiant parfois, avec les serveurs les plus retors.

On nous a servis, j'étais heureuse, ça dégoulinait de rouge dans mon assiette, ils avaient même pensé à la Worcestershire Sauce et au Tabasco, c'était comme un Noël avec des flocons, une vraie carte postale du tartare idéal. Ca m'a mis le cabri dans le sang, et j'ai lentement ausculté l'assiette, humé, admiré, caressé du regard les câpres incorporées à la chair, et l'oignon, et tout le reste.

Et puis nos voisins de table sont arrivés. Une femme, la quarantaine bien tapée, assez insignifiante -ni belle ni laide, taille moyenne, tenue ordinairement sombre, un peu terne en fait, cheveux mi-longs, teints probablement, ou même pas, d'une couleur improbable alors, naturellement à cheval entre l'auburn et un brun de selle de cheval. Son petit garçon, une dizaine d'années, et au moins aussi banal. Et une femme, pas de la famille visiblement, sensiblement plus vieille, grosses lunettes aux verres fumés, longs cheveux gris déjà rares, la promesse d'une calvitie prochaine et des permanentes chez le coiffeur tous les samedis.

A eux trois, jargonnant, une succession des clichés à en faire pâlir un concierge. Un condensé de vérités premières, de ces truismes que l'on lâche les jours de pluie, entre le fromage et le dessert, avant de sortir les cinq cents photos des dernières vacances sur la Côte. Mange tes carottes, c'est bon pour le teint. L'important, pour une valise, c'est qu' ça roule! Ah l'été, c'que c'est bien quand i' fait beau. Au lycée, en français, j'avais découvert avec ravissement que des savants normaliens avaient étudié le phénomène, soupesé les tournures, posé des mots sur la maladie -la fonction phatique du langage. Ils ont écouté leurs voisins de table à l'Hippopotamus, et ils ont pondu un concept. Admirables normaliens.

Vieille madame aux cheveux gris: "Y a des gauchers, par chez vous?"
Madame à la quarantaine bien tapée: "Nan."
Vieille madame aux cheveux gris: "Parce qu'à c'qu'i' paraît, les gauchers, i' sont plus intelligents."

Et le petit garçon, toute ouïe, buvait comme du petit lait ce flot de jactances ordinaires, se plongeait avec délice dans le grand bain de la bêtise universelle, absorbait tout cela comme une éponge, en mâchant le steak-frites. Et entre le tartare de charolais et la faisselle aux fruits rouges, on ose me parler d'égalité des chances.

***

Oh, et puis c'est fini, avec mon ange. Il ne faudra plus que je parle de lui, maintenant.

[The Doors - The Spy.]

9 commentaires:

Anonyme a dit…

J'aime bien, la déchéance de l'ange glissée à la fin du tartare. Tu vas voir, une petite année à l'étranger et hop, l'ange sera devenu un souvenir. On finit par s'en sortir, promis. Je suis là, si besoin d'écrire.
Take care.

antagonisme a dit…

Bravo, bravo, bravo pour ce post. Bravo. Je me farcis depuis 13 ans une belle-famille avec laquelle je ne parviens pas à communiquer ;j'ai considérablement amélioré mes résultats en me taisant, depuis quatre ans, c'est-à-dire, en n'essayant plus de communiquer véritablement avec eux. De temps en temps, pour indiquer que je ne suis pas morte, je scande le néant avec des mots "voilà", "ça c'est sûr", "ben oui" et ça suffit. Ils n'ont pas l'air de se vexer. Je passe trois jours chez eux tous les deux ans et je repars le ventre nouée, en me demandant ce qui ne va pas.
Ils sont de la même région. Ce que tu dis me rassure.

Anonyme a dit…

Oh, tu sais, en théorie, l'égalité des chances existe bel et bien. Après, il est certain qu'en pratique tout change.
Mais comme objectivement, dès lors que la théorie scintille, on se fout du reste...

Anonyme a dit…

bérénice !
allez !
moi je poste qui si tu p. !

where ARE you by the way ?

Anonyme a dit…

she's en holidays actually... so, I guess u gonna wait a little...!

Petite Jeanne a dit…

J'aime beaucoup cette histoire de steak phatique. Je pense qu'avec ce "phatique" il y a plein de calembours nuls que je pourrai élaborer en cas de besoin.

Anonyme a dit…

Allez hop hop hop!
Ca fait un mois jour pour jour on attend la suite...
T'as rien à faire au Touquet alors au boulot!
Merci B.

Anonyme a dit…

l'égalité des chances...

de la jouissance pure de te lire. Il faudrait que je ponde un essai sur ça.

A QUAND TON PROCHAIN POST ?!

Anonyme a dit…

Ben putain, c sûr q tu vas ps finir vieille fille à ce rythme là...